
Philharmonie de Berlin : concert de la St Sylvestre 2014, Mozart Rameau, Dvorak, Kodaly
Simon Rattle, direction ; Menahem Pressler, piano
1 DVD ou 1 Blu-Ary Euroarts 2061134
C’est un programme pour soirée de fête, avant que tous, spectateurs et musiciens, aillent célébrer le nouvel an 2015 avec leurs proches. Le programme est donc naturellement disparate, mais contient des merveilles. Simon Rattle avait déjà annoncé qu’il quittait la tête de la Philharmonie de Berlin, pour retourner dans son Angleterre natale. Sa succession à ce poste le plus en vue de la musique classique a d’ailleurs donné lieu à un feuilleton à rebondissement et à suspens début 2015. Rattle a choisi pour ce soir-là des œuvres qui couvrent une période de deux cents ans, du baroque français (Les Indes Galantes, 1735) au musicien hongrois post romantique Zoltan Kodaly (Hary Janos, 1927), en passant par Dvorak, Brahms, Chopin et Mozart.
On est obligé de débuter cette chronique par le concerto en La de Mozart, le célèbre vingt-troisième, car cette partie du concert est une expérience unique. Le soliste en est Menahem Pressler, à quatre-vingt-onze ans passés. Pressler a créé le Beaux-Arts trio soixante ans auparavant, la référence pour les œuvres pour trio avec piano, forme qui a donné le jour à de nombreux chefs d’œuvres (Haydn, Mozart, Beethoven, Brahms, Schuman, Tchaïkovski, Rachmaninov, ….). Mais Pressler se produit en soliste depuis ses quatre-vingt-cinq ans, après la dissolution du Beaux-Arts trio, et avoir changé deux fois de violoncelliste et trois fois de violoniste. Et on réalise depuis dix ans quel magnifique pianiste soliste est celui qui a été l’âme d’un des ensembles de musique de chambre les plus important de ces dernières décennies. En bonus, le DVD propose un touchant film documentaire sur l’artiste.
Le vingt troisième concerto de Mozart est naturellement un chef d’œuvre. Le second de ses trois mouvements est très célèbre, son thème ayant été repris dans de nombreuses illustrations musicales, dont le magnifique l’Incompris de Luigi Comencini, relatant l’injustice envers un frère ainé. Naturellement, on a entendu ce concerto dans de nombreuses interprétations mémorables, les versions de références du jeune Barenboïm, de Murray Perahia, d’Ashkenazy, de Brendel, de Geza Anda, de Brendel, ou les interprétations mémorables d’un Horowitz très âgé (près de dix ans de moins que Pressler, tout de même) ou Serkin. Et pourtant, jamais on n’a entendu ce que l’on entend (et voit) dans ce concert. C’est proprement parfait. Mais attention, pas parfait comme un bon élève, parfait au sens que cela parait inégalable. Le toucher, le phrasé sont absolument sublimes, et seraient déjà incroyables chez un pianiste de trente ans de moins. Quel magnifique pianiste. Bien sûr c’est le célèbre adagio qui convient le mieux à l’artiste, dans les deux mouvements extrêmes on peut avoir l’impression que le pianiste ralenti imperceptiblement le tempo de l’orchestre (que Rattle dirige là sans baguette). Standing ovation naturellement (en présence de la chancelière), et donc en bis Pressler nous offre un superbe nocturne de Chopin, où là encore son sens du toucher et du « rubato » font merveille, idéal comme l’enregistrement que Claudio Arrau en fit en 1978 (à soixante-quinze ans) et qui est peut être un des dix plus beaux disques de piano au monde.
Le reste du programme est très réussi, et les spectateurs de ce gala n’ont pas dû regretter leur soirée. En ouverture, une rareté à Berlin, une sélection des morceaux orchestraux dansants des Indes Galantes, opéra ballet de Rameau (1735). Avec un orchestre allégé, le même que pour le Mozart qui va suivre, Rattle donne une vraie leçon d’interprétation à l’ancienne, avec un parfait style des violons, des flutes (le français Emanuel Pahud en première flute soliste), des percussions anciennes, et des chaines telles que décrites dans la partition pour le célèbre Air des Sauvages.
Après l’entracte, deux danses slaves de Dvorak, une danse hongroise de Brahms, très enlevées, et la suite d’orchestre tirée de l’opéra-comique populaire Hary Janos, de Zoltan Kodaly (prononcer « Kodaille »), présenté ici comme un véritable concerto pour cymbalum, extrêmement festif. Quelle soirée !